Pierre ALBESSARD, le 23 Septembre 1917...

"23 Septembre 1917 du côté de Cherbourg..."

Tout un chapitre lui est consacré (IX p.290 à 296) dans l'ouvrage: "LACHEZ TOUT!" du Commandant De Brossard paru en 1956 aux Editions France-Empire.



Chapitre consacré au SS-Z-21 (appelé aussi VA-4)
Vedette des Patrouilles de Normandie.
"Je suis Normand, j'ouvre donc avec le plus vif intérêt le dossier des patrouilles de Normandie. Les dirigeables sont installés à Ecausseville, au lieu dit la Bergerie de Vaux, à 3 km. dans le sud de Montebourg, village voisin de la côte sud-est du Cotentin. Les gens d'Ecausseville, d'ailleurs, ne sont guère satisfaits de l'implantation de ce grand hangar non plus que du trafic automobile qui défonce leurs chemins. est-ce par réaction que l'on désigne le centre sous le nom de Montebourg?
il y a là des petits dirigeables de fabrication anglaise, les Sea Scouts (Volume 1.800 m3. Un moteur de 80 CV sur un fuselage d'avion)
Aujourd'hui, 23 septembre 1917, le SS-Z-21 (Volume 2.200 m3, un moteur Rolls-Royce de 90 CV, une nacelle étanche spéciale triplace) est parti avec l'enseigne de vaisseau Albessard commandant et pilote, le second maître T.S.F. Serra et le quartier-maître mécanicien Pitois.



Ils ont pris l'air à 11h20 et font route sur Cherbourg à travers la campagne normande. Là, ils prennent la mer par la passe est et remontent dans le nord face au vent régnant, d'ailleurs très faible. Il fait beau, la mer est grise et calme.
Le petit dirigeable que commande Albessard a une enveloppe grise et sa nacelle, au bout de ses suspentes, est grise aussi. Il s'agit d'un modèle nouveau que l'on a ramené d'Angleterre au début du mois. La nacelle est en forme de bateau, on dirait un peu une baleinière. A l'avant, abrité par un petit pare-brise, se trouve le poste de T.S.F. qu'occupe Serra. Au milieu, derrière un second pare-brise, Albessard est installé avec sa roue de manoeuvre d'altitude à gauche, le palonnier de direction aux pieds, les manettes des gaz du moteur à droite, les cadrans de pression d'enveloppe, d'altimètre et du variomètre devant lui, les commandes des soupapes à gaz et à air pendent à portée de sa main droite, accrochées aux suspentes.



Derrière le commandant, le mécanicien est en tête à tête avec un moteur dont il ne voit guère que le radiateur carré traversé par une manivelle de mise en marche. L'hélice propulsive à quatre pales courtes est à l'arrière. De chaque côté, à l'extérieur, il y a deux lances-bombes.
L'engin avance tranquillement, route au nord, à 300 mètres d'altitude. Quelques bateaux peuplent cet espace marin des environs de la Hague. Quelques épaves aussi, d'anciens torpillages. Et en dessous il y a le gibier qui se cache le jour. A son intention on a emporté deux bombes, une anglaise de 100 livres et une bombe D de 22 kilos. On guette le coup de périscope, l'indiscrétion fugitive, la trahison d'une tache de gas-oil, d'une salissure de l'eau.
Routine.
On se crève les yeux comme d'habitude.
Routine.
...Pourtant... 12h50.
- un bâtiment suspect à bâbord arrière, commandant, crie Serra, en pointant le bras vers le sud-ouest.
Albessard envoie un coup de pied gauche dans le palonnier et le ballon vire brutalement.
- C'est loin ton bateau?
- Assez... Top, droit devant.
Albessard jette un coup d'oeil au compas: 240, et il inspecte l'horizon en se penchant un peu à gauche parce que Serra lui masque l'avant.
- Ah! oui, vu... mais c'est au diable... à 5 à 6 milles... et ce n'est pas gros... prends les jumelles, crie-t-il à Serra.
Pitois se dresse, buste au vent, pour voir.
Albessard a mis plein gaz, cela donne une vitesse de 75 km/heure à peu près. Le vent du secteur nord donne une dérive à gauche et Albessard corrige son cap de quelques degrés à droite, ce qui facilite son observation.
-Sous-marin, commandant... sous-marin en surface, hurle Serra, qui lorgne dans ses jumelles, appuyées sur le rebord du pare-brise... il fait route au sud à petite vitesse.
Albessard coince un instant sa barre d'altitude du genou et attrape ses jumelles. Pas de doute. Il n'a rien à faire dans ce secteur, c'est donc un allemand... tout de même, en surface en plein jour, et se promener dans ce coin sans se presser, c'est un peu fort... c'est peut-être un français après tout... Tant pis, je donne l'alerte. On verra bien dans quelques minutes.
-Serra, hurle Albessard, envoie le "allo" en vitesse.
Il est 13 heures. La silhouette grossit rapidement. On ne distingue toujours pas de kiosque ni le pavillon de nationalité.
Albessard est pris de doute, mais par précaution, il se place tout de même à 250 mètres, bonne altitude de bombardement.
-Pitois, enlève les sécurités des bombes...
ce sont deux broches sur les ailettes des fusées, que le mécanicien attrape à droite et à gauche, sans même se pencher.
-Il a du monde sur le pont, cet animal-là! Qu'est-ce qu'ils fichent... c'est bien un kiosque allemand!
Albessard écarquille les yeux. Les deux autres n'ont plus besoin de jumelles, ils regardent le gibier énorme qui s'offre, le gibier de qualité qu'ils vont allonger comme un lièvre... pourvu qu'il ne plonge pas maintenant... on l'a... on l'a... pourtant, il faut se méfier... si c'était un ami...
- Il vient à gauche gueule Serra.
Vu par la hanche bâbord jusqu'ici, on ne remarquait pas trop ce qu'il manigançait... mais maintenant c'est net... en guise de signal de reconnaissance il arme son canon.
Le voilà en travers de la route du dirigeable et il avance, le gars...
- Il pointe son canon.
- On l'aura... on est à moins d'un mille, encore une minute... attention Pitois.
Un éclair jaillit sur l'avant du kiosque.
Le coup explose droit devant le Z-21 et donne un nuage gris foncé qui s'évanouit.
- Serra, envoie en clair "sous-marin ennemi 10 milles nord-est de la Hague", hurle Albessard... il tire encore, l'animal...
Second éclatement encore droit devant.
Troisième éclair. troisième éclatement. Il est temps d'arriver...
"Nous sommes à 500 mètres, pense l'enseigne, il nous a manqués, à nous...
- Attention, Pitois... zut, il plonge...
Il ne reste plus en quelques secondes que le remous de l'immersion sur l'avant de quoi Albessard largue ses deux bombes avec une grande précision.
Si les bateaux venaient, au moins, mais le chalutier là_bas, avec son petit convoi de trois marchands, n'a pas l'air pressé de quitter sa route... il continue vers l'est... il doit avoir vu pourtant...
- Commandant, l'enveloppe est percée, crie Pitois.
Albessard regarde son manomètre. La pression baisse... il n'y avait pas fait attention, évidemment. En levant la tête, il voit le trou dans le ventre du ballon.
La pression dégringole de plus en plus... il doit y avoir d'autres déchirures sur le dos.
Il faut regagner la terre. Querqueville n'est pas trop loin... pas question de rallier Montebourg.
- Serra, émettez en clair: "Envoyez immédiatement secours pour dirigeable à Querqueville"... dépêchez-vous, je ne tiens plus l'altitude, attention à l'antenne.
Pour tenir en forme la carène, Albessard envoie de l'air dans le ballonnet par la manche de renflouement, mais le ballon s'alourdit et ne répond plus guère aux gouvernes. Il réussit à cabrer au maximum et à ralentir un peu la chute. L'heure n'est plus au délestage classique, il faut d'autres moyens.
- Rentre l'antenne, Serra.
Le Z-21 est à 20 mètres d'altitude, moteur à plein régime et ballon toujours très cabré. il tient très péniblement et la pression diminue dès qu'on cesse de ventiler.
- Nous n'irons sûrement pas jusqu'à Querqueville, je vais me rapprocher du torpilleur qui est devant nous... il tombe à point celui-là... Attention, je vais amerrir... Pitois, paré au ventilo dès que je stopperai le moteur...
Albessard incline sa route vers le torpilleur 307 qui, voyant le dirigeable en difficulté, fait route sur lui.
La nacelle n'est plus qu'à 10 mètres et le Z-21 marche très cabré, à bonne vitesse.
- Cramponnez-vous, hurle Albessard.
Il stoppe le moteur dont l'hélice risquerait de tourner dans l'eau et de causer des avaries...
 Il y en a assez comme cela. Il est 14 heures.
- Ventilo, Pitois...
Pitois s'acharne sur la manivelle du ventilateur, mais la clavette de l'arbre d'entraînement casse. Et Albessard n'a plus aucun moyen pour maintenir la forme du ballon. Il n'a pas le temps d'y penser d'ailleurs car on est à l'eau.
La nacelle prend contact très cabrée et fait une magnifique gerbe, au choc les trois hommes sont tassés sur leurs sièges et le ballon, par inertie, descend de quelques mètres donnant du mou aux suspentes, puis il repart vers le haut et provoque un choc très violent de toute la suspension qui se raidit. Le SS-Z-21 fait un bond d'une dizaine de mètres et retombe lourdement. heureusement la nacelle a touché correctement et subit les derniers à-coups sans dommage.
L'avant est délesté...
Il est délesté du second maître Serra qui, dans le bond désordonné, a été éjecté de son poste et nage maintenant vers le 307.
Dans le silence, sur la mer calme, un peu poussé par une légère brise de nord, le Z-21 attend.
Le 307 après avoir repêché Serra approche doucement au vent.
- Voulez-vous me remorquer? crie Albessard. Je frappe mon guide-rope. Ma nacelle est étanche, ça ne craint rien...
Albessard et Pitois sont restés à bord du dirigeable et veillent à ce que rien ne compromette le remorquage, mais l'enveloppe tiendra-t-elle jusqu'à Cherbourg ou Querqueville? Pour le moment, la nacelle tient dans le sillage du torpilleur comme une baleinière.
"...si nous avions eu notre mitrailleuse, se dit Albessard, nous aurions pu l'empêcher de tirer... mais la mitrailleuse n'a pas été livrée avec le ballon, non plus le support..."
Ce sont là de vains regrets auxquels le commandant du SS-Z-21 ne s'arrête pas plus qu'il ne faut. d'autant plus que l'on est en vue de la jetée ouest de Cherbourg et qu'il reste encore fort à faire pour sauver le dirigeable.
Le 307 ne peut approcher de la jetée, or l'état du Z-21 ne permet pas de poursuivre le remorquage dans le port. il faut se hâter à cause de l'enveloppe qui commence à se déformer.
15h45. Devant le jetée le torpilleur est stoppé, le Z-21 flotte derrière lui. 



Une cinquantaine de soldats et de marins, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Dieudonné (Commandant le centre de dirigeables de Montebourg) entrent dans l'eau, approchent en youyou et finalement tirent le SS-Z-21 sur la jetée d'où, dégonflé, plié, emballé, il part en camion vers son centre pour une visite sérieuse ont il a bien besoin. Son enveloppe a reçu 9 coups de Shrapnels.



Le 10 Octobre, à Montebourg, le SS-Z-21 fait sa sortie d'essais après regonflement... Il reprend la routine des patrouilles et de sa quête au sous-marin.





à suivre...

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